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06
septembre
2013


Posté dans la catégorie Interview.

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[Japan Expo] AKB0048, l’interview des Designers

Durant la dernière édition de Japan Expo j’ai eu l’opportunité de rencontrer 2 des designers français de Satelight ayant travaillé sur AKB0048. S’en est donc suivi un entretien long mais intéressant regorgeant d’anecdotes et informations exclusives pour les fans des 48 que nous sommes.

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Misaki: Merci d’avoir accepté cette interview, pour commencer pouvez-vous vous présenter rapidement, expliquer votre parcours et comment vous êtes arrivés chez Satelight ?

Thomas ROMAIN: Je m’appelle Thomas ROMAIN, je travaille au Japon depuis 10 ans (arrivé en 2003) après avoir étudié l’animation à l’école Gobelins à Paris. Je suis arrivé au Japon car j’adorais l’animation japonaise et je voulais vraiment aller travailler la-bas. J’ai eu une opportunité grâce a mon implication sur la série « Ôban Star-Racers » qui était une co-production franco-japonaise. J’ai vraiment adoré cette expérience et j’ai souhaité continuer ma carrière au Japon. C’est à ce moment là que l’on m’a présenté au studio Satelight et j’ai pu rencontrer (Shôji) Kawamori qui a beaucoup apprécié mon travail de design. Nous avons alors commencé à collaborer sur plusieurs projets, notamment la série Basquash! C’était il y a 6 ans maintenant. La dernière série diffusée sur laquelle nous avons travaillé ensemble est AKB0048.

Vincent NGHIEM: Pour ma part je m’appelle Vincent NGHIEM, je suis issu de la même école que Thomas, mais plusieurs promos après. Durant ma dernière année l’école a renouvelé son partenariat pour des stages au sein du studio Satelight et j’ai saisi l’opportunité. Ça s’est bien passé et du coup j’ai fait un visa Working Holiday pour continuer à travailler 1 an de plus avec eux… mais c’est aussi parce que je suis un grand fan d’AKB48 (nan c’est pas vrai). Actuellement je mets tout en application pour revenir avec un visa travail. Je suis arrivé pile au moment où AKB0048 était le projet principal de Satelight. En gros je suis arrivé au moment où un autre designer français, Yann Le Gall, un ancien de Gobelins également, quittait le Japon. Avec Thomas et Stanislas Brunet (mecha designer sur AKB0048) ils avaient déjà créé tous les trois une bonne partie de l’univers graphique de la série. Je l’ai remplacé à la volé au poste de designer décor. Thomas et Stan étant occupés en parallèle sur d’autres projets je me suis vu confier la responsabilité de designer seul de nombreux décors.

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LE DESIGN

TR: C’est une des particularités du Japon : contrairement à la France où lorsqu’on travaille dans le domaine de l’animation on se concentre sur un seul projet, ici, on peut travailler sur 4-5 projets en même temps lorsque l’on est designer ou animateur. En ce moment à Satelight nous sommes donc une petite équipe de 3 designers français, en plus de Vincent et moi il y a aussi Stanislas Brunet, mecha designer (Oban Star-racers, Aquarion Evol) qui a notamment créé pour AKB0048 le Flying Get, l’espèce de faucon salle de concert. Il a designé également les plates-formes volantes que les membres du groupe utilisent pendant les concerts, les mechas qu’elles pilotent, les mechas ennemis, ou encore le vaisseau Kachuusha. Bref, tous les mechas et véhicules sont de lui. Bien sûr Shôji Kawamori, créateur du projet et superviseur général, qui est un mecha designer de légende (Macross) a supervisé son travail de près. Parfois Stan travaillait à partir d’un croquis de Kawamori, mais tout de même, son implication a été énorme sur le projet.
Vincent et moi on s’est occupé, quant à nous, de créer tous les décors. Que ce soit l’intérieur des vaisseaux ou bien les différentes villes sur lesquelles se rendent les membres du groupe. Personnellement je me suis notamment concentré sur le design d’Akibastar, la ville qui est sous dôme, ses rues, le foyer où elles habitent, les différentes pièces comme les chambres, la salle de répétition, le réfectoire et bien sûr la Akibatower et sa salle de concert.

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J’ai également beaucoup travaillé sur le premier épisode dans un style très différent, plus steampunk avec ses usines etc… J’ai beaucoup apprécié la large palette d’environnement que Kawamori et les scénaristes ont décidé d’utiliser comme toile de fond pour l’histoire.

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VN: Quant à moi j’ai travaillé sur le design des différentes planètes secondaires, notamment celle qui ressemble à la Russie, ou bien celle avec les champignons. On avait assez de liberté à chaque fois, c’est ce qui était agréable, et motivant. Le style graphique devait rester réaliste mais on pouvait apporter des idées qui parfois influençaient la mise en scène de chaque épisode.

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TR: En effet si l’on propose suffisamment tôt des idées intéressantes au réalisateur (Yoshimasa Hiraike) ou à Kawamori ils peuvent les incorporer dans le story board.
J’ai apporté des dessins (sort son classeur de visuels), pour te montrer le boulot que l’on fait, le genre de design que l’on produit. Essentiellement tous ces dessins sont faits relativement tôt en amont de la production. Des dessins noir et blanc, au trait, ou avec seulement quelques indications de lumière ou de couleur. C’est ensuite une équipe de décorateurs japonais qui fait la mise en couleur définitive à partir des dessins et plans réalisés par notre équipe française.

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INSPIRATIONS

M: Quelles ont été vos inspirations pour designer les villes ? Par exemple pour Akibastar as-tu été influencé par le vrai Akihabara ou pas du tout ?

TR: Le tout premier dessin était très proche d’Akihabara. Durant la toute première phase de recherche, je suis allé prendre quelques photos, j’étais pas loin. C’est l’avantage de vivre sur place ! Dans le premier dessin j’avais évidemment mis beaucoup de pancarte, de magasins… mais Kawamori avait une idée différente. Akibastar porte le nom d’Akihabara mais l’ambiance est très éloignée! C’est un havre de paix, une ville utopique recréée sous terre dans un monde en grande partie dévasté. Il fallait ajouter un côté un peu fantaisie, s’éloigner du contemporain, du réalisme. Pour les idols il fallait que ce soit un lieu confortable et agréable à y vivre et qui mérite que l’on se batte pour sa préservation. Le vrai quartier d’Akihabara n’était pas forcément le meilleur modèle pour ça.

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Il y a une île au centre avec la Akiba Tower qui renferme la salle de concert. Cette zone est constituée exclusivement de bâtiments très futuristes dont j’ai totalement imaginé le design. Mais tout autour j’ai opté pour une ambiance assez bucolique avec des maisons style européen. Je me suis inspiré de l’Allemagne et ses façades qui utilisent beaucoup de poutres en bois et j’y ai injecté des éléments très futuristes pour donner quelque chose de nouveau.

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Quand tu regardes la turbine au fond (me montrant un autre dessin) ça fait vraiment pure SF, mais en ajoutant au premier plan des maisons allemandes traditionnelles le résultat est surprenant et intéressant. Kawamori a beaucoup aimé cette idée de mélange de styles et donc on est parti là-dessus.

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Après selon les planètes, il y a eu différentes sources d’inspiration : par exemple sur la planète russe. Tu peux en parler Vincent ?

VN: En général on a une ligne directrice donnée par le réalisateur. Un thème. Par exemple la Russie, une ville minière, un resort en bord de mer, … On travaille ensuite à partir de références photos et on essaie d’ajouter des éléments nouveaux, des idées issues de notre imagination pour rendre le design unique mais tout de même crédible. Le tout est une question d’équilibre entre le réel et notre imagination. Comme Kawamori l’avait expliqué lors d’une conférence aux Gobelins : le sujet central n’a pas besoin d’être nouveau ou révolutionnaire, mais ce sont tous les détails autour qui apportent la fraîcheur, la nouveauté et qui peuvent prendre le dessus. Bref dans la série il fallait aussi s’occuper d’éléments propres aux AKB : je devais, par exemple, designer l’entrée d’une salle de concert dans la tour en me référant à la vraie entrée du Théâtre. Les fans peuvent reconnaître la référence, j’ai conservé l’aspect mur de briques, mais j’ai poussé plus loin en mixant avec une inspiration Broadway. Thomas, lui, a fait le stade où se déroulent les Handshake Events. Il a redessiné assez fidèlement son design à partir des références réelles mais en donnant à l’ensemble une touche futuriste.

TR: Pour cet épisode “Akushukai” (Handshake Event), la scénariste, le producteur, et une bonne partie de l’équipe sont allés sur place pour voir ce que c’était vraiment. Ils ont pris beaucoup de photos à partir desquelles j’ai pu créer le design du lieu de façon crédible en faisant exactement comme Vincent vient de le dire : l’ensemble du stade fait très futuriste mais pour l’intérieur j’ai essayé de retranscrire la réalité. Il fallait aussi simplifier ce qui pouvait être complexe à dessiner par les animateur. Par exemple j’ai supprimé énormément de barrières (celles pour organiser les files d’attente) car elle auraient rendues les décors confus et inutilement complexes à réaliser. A part cela l’ambiance générale est très proche du véritable événement.

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LES REFERENCES AUX AKB48

M: Justement, est-ce que cela n’a pas été difficile de respecter les références pour éviter les remarques des fans, vu que vous ne connaissiez pas le groupe.

TR: C’est justement le problème qu’a dû surmonter Shôji Kawamori. C’est le producteur des AKB, (Yasushi) Akimoto, qui a contacté Satelight car il voulait bosser avec Kawamori (très connu grâce à Macross). C’est l’un des seuls réalisateurs à savoir aussi bien retranscrire des scènes de concert spectaculaires dans le monde de l’animation. Mais il ne voulait pas travailler sur ce projet s’il s‘agissait de rester dans un univers réaliste, contemporain, parce que justement il aurait dû faire attention à respecter tellement de détails que cela aurait été trop contraignant pour lui. Il a donc proposé de transposer les chanteuses AKB dans son propre univers. C’est un peu caricatural, mais il pourrait dire : «J’ai pris les AKB48 et je les ai mis dans l’univers de Macross». Grâce à ce parti pris nous non plus en tant que designers nous n’avons pas eu besoin de coller trop a la réalité. On se servait bien sûr des références qu’on nous donnait, on gardait un élément par exemple, mais pour le reste on pouvait inventer comme on le souhaitait.
Un autre exemple : dans la salle de concert des AKB0048 dans la série, on voit deux piliers qui descendent du plafond, c’est en référence aux fameux deux piliers de la scène de Akihabara. Kawamori tenait absolument à les mettre, mais le reste de la salle est très différente de la salle réelle. Pour faire le design de cette salle on est allé les voir quand elles ont fait un concert au Tokyo Dome City Hall en novembre 2011. J’ai pris des photos, cela m’a servi de base pour le design et j’ai rajouté en plus les fameux piliers.

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M: N’avez vous pas eu de difficultés à retranscrire cet univers futuriste vis a vis des fans, qui eux s’attendait peut être à avoir un monde plus réel, plus kawaii alors que là c’est quelque chose de plus noir (mitraillette, mecha, …) ?

TR: C’est un univers (les Idols) que je ne connaissais pas du tout. Je vis au Japon depuis pas mal d’années mais je suis à fond orienté sur l’animation voire le jeu vidéo, je suis loin de la Jpop et des idols actuelles. J’ai du mal à me mettre dans la peau d’un fan et comprendre ce qu’il a pu ressentir. En tant que designer je ne pense pas que j’aurais eu l’occasion de participer à une série AKB48 si elle avait été située dans un environnement contemporain et réaliste. On n’aurait simplement pas eu besoin de moi. Designer c’est un métier où il faut inventer des lieux, des objets ou des concepts qui n’existent pas. Si une série se passe dans un Tokyo contemporain, en général on se contente souvent de photos de références pour créer les décors. On n’a pas besoin de plus-value. Au contraire cette série AKB0048 est extrêmement riche au niveau univers et c’est ça qui m’a plu.

M: Étiez vous quand même soumis à quelques contraintes notamment celles d’Akimoto ? On sait qu’il aime bien diriger et contrôler l’image des AKB.

TR: Non, honnêtement. Comme Kawamori est quelqu’un de très important dans le milieu de l’animation, je ne pense pas qu’Akimoto, malgré son importance également dans son milieu, ait imposé quoique ce soit. Kawamori a accepté le job car il savait qu’il aurait carte blanche. Ce qui ne signifie pas qu’il a fait n’importe quoi non plus. Il a été très professionnel, s’est énormément documenté avant de se faire sa propre image de la série. Par la suite il nous orientait en fonction de sa vision, mais nous n’avons jamais ressenti de contraintes sur quoi que ce soit et encore moins de la part de Akimoto-san.

VN: Pour parler franchement, nous AKB48 on n’est pas dedans, on respecte car c’est beaucoup de boulot, c’est un sacrifice de la part des filles, au point que des fois ça en fait même peur. On se contentait de suivre les directives de Kawamori, totalement indépendamment de savoir quelle influence même minime cela pourrait avoir sur l’image du groupe. On ne se préoccupait pas de ça, pour nous la série AKB0048 est quelque chose à part, bien différent du groupe et on se concentrait uniquement là dessus.

M: Peut-on travailler sur cette série, en tant qu’œuvre a part entière sans avoir de connaissance sur la réalité du groupe ?

TR: Oui en tant que designer, il n’y a aucun souci. Il nous arrive de travailler sur 5-6 projets en même temps, donc on ne peut pas se renseigner sur tout, on ne peut pas lire tous les scripts. On travaille avec le réalisateur et c’est lui qui nous dit ce qu’il veut exactement. Par contre Kawamori, le réalisateur Hiraike-san et la scénariste, Mari Okada (qui était fan du groupe à la base) se sont, eux, énormément renseignés. Ils ont lu des ouvrages, regardé les documentaires, ont été aux concerts et ont même rencontré les membres du groupe, etc… pour se faire leur propre image du groupe, intégrer beaucoup d’éléments qui parlent aux fans, et savoir jusqu’où il était raisonnable de pousser leurs idées, jusqu’où ils pouvaient trahir d’une certaine manière l’attente des fans et s’amuser avec l’imagerie du groupe.

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En ce qui nous concerne on a eu tout de même quelques contacts. Par exemple à l’occasion d’un bonus DVD, il y a 3 filles du casting principal qui sont venues au studio, on leur a montré un peu les coulisses de la production, c’était marrant. Evidemment, elles sont habituées en permanence à être scrutées et apparaître devant les caméras ou devant un public donc leurs réactions sont surjouées. Vincent, lui, est allé assister à un enregistrement des voix d’un épisode.

LE DOUBLAGE

VN: Les 3 qui sont venues au studio étaient de la Team B mais lors de l’enregistrement il y avait les 9 membres du sous-groupe No Name et bien sûr avec elles tout le cast de doubleuses pro également. Lorsqu’on m’a présenté comme français les réactions ont tout de suite été «Ouah, trop génial !». J’ai discuté un peu avec certaines, mais Watanabe Mayu était, elle, inatteignable. Au maximum c’était un « bonjour / bonsoir » poli et les seuls qui avaient le droit d’avoir un contact avec elle c’était Kawamori et le réalisateur. On a juste eu la présentation et après impossible de l’approcher. Avec les doubleuses pro les prises étaient bonnes dès le début alors que les AKB se faisaient reprendre un nombre incalculable de fois, cette séance a été très longue, on a commencé à 15h et on a terminé à 21h passées.

TR: normalement un épisode ça prend 3 ou 4 heures mais là apparemment ça a duré dans les 6h30 pour un épisode (c’était l’épisode où Mimori devient la nouvelle Mariko). C’était la conséquence de travailler avec 9 doubleuses amateurs sur les personnages principaux.

M: Qui a été la plus mauvaise durant la séance de doublage ?

VN: C’était Mimori justement (Sato Sumire) car elle avait la plus grosse partie. Elle avait énormément de lignes et a été souvent reprise.

M: C’est donc totalement différent de travailler avec des seiyuus professionnels ?

VN: A la base, les idols sont quand même entraînées au niveau de la voix et ne sont donc pas complètement amateurs. Une personne lambda qui fera son premier doublage aura la voix qui ne porte pas suffisamment ou les intonations qui n’iraient pas. Mais là c’était plus au niveau du jeu d’acteur, le fait de mettre en valeur telle ou telle émotion, de la rendre plus subtile, être moins caricatural, c’est à ce niveau là qu’elles galéraient.

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LA 3D

M: Un des reproches récurrents sur cet anime a été l’utilisation de la 3D, beaucoup disaient que l’animation 2D était très belle… mais on voyait vraiment la différence avec la 3D, le dessin était plus inégal sur les scènes de danse et certains ne comprenaient pas les raisons de l’utilisation de cette 3D.

TR: Je pense que c’était le seul choix possible, il n’y avait pas d’autres alternatives dans la mesure où techniquement avec les temps de production et le budget que l’on avait cela aurait été impossible d’animer toutes les scènes de concert avec autant de personnages qui dansent et qui demandent énormément de phase d’animations différentes. Non seulement en terme de temps de travail mais aussi en ressource de talents. Cela nous aurait bloqué tous les bons animateurs 2D sur ces séquences, et malheureusement ils se font très rare au Japon. Si on avait voulu tout faire en 2D, on n’aurait pu se permettre de mettre qu’une scène de concert tous les 4 ou 5 épisodes, des scènes plus courtes et avec seulement peut-être 3 chanteuses. Par exemple sur Symphogear, avec Mizuki Nana, il y a des scènes de concert mais on en a 2 sur toute la série. L’animation de ces scènes sont faites en 2D à la main mais il y a une base 3D pour gérer les mouvements de caméras, les chorégraphies, …
Sur AKB0048, on a fait de la motion capture sur des danseuses professionnelles. Personnellement je trouve ces parties tout à fait honnêtes. Elles sont certes animées en 24 images/sec ce qui donne un coté trop fluide que les puristes de la 2D n’apprécient pas forcement, peut être que si j’avais réalisé moi-même j’aurais supprimé des frames pour simuler un peu plus le coté animation traditionnelle qui est moins fluide. C’est une technique parfois utilisée sur certaines production, mais cela demande du travail en plus pour que cela soit efficace. Rien n’est automatique. Dans notre cas on ne l’a pas fait car il y a beaucoup de mouvement de caméras, de grues, de zooms, etc… Cela aurait été ingérable dans nos temps et budgets de production. Il ne faut pas oublier que les budgets de série au Japon sont très faibles, bien inférieurs aux séries européennes ou US avec pourtant une qualité de l’image finale et un niveau de dessin souvent supérieurs.

VN: Il y a aussi le fait qu’elles sont nombreuses et ça aurait été extrêmement fastidieux de tout cumuler, de gérer les mouvements de caméras en même temps, ça aurait nécessité un autre budget, et beaucoup plus de temps. C’est vrai qu’à la base les japonais sont pas très expérimentés en 3D, au niveau des intégrations, ça s’améliore mais c’est pas encore ça. Je pense que travailler la 3D exactement avec le même timing très dynamique que la 2D en retravaillant les courbes de motion capture ou en faisant travailler des animateurs en amont donne d’excellents résultats, mais il faut en avoir les moyens. Pour cette série le choix qui a été fait était le plus pertinent.

TR: Chez Satelight on a une équipe 3D qui progresse de série en série. A la base seuls les robots et véhicules étaient traités en 3D. Puis les premiers essais de personnages en 3D ont été faits sur certains plans dans les films de Macross Frontier ou dans certains vidéo clip plus récents. Ce qu’on a fait sur AKB0048 c’est ce qu’il y a de plus abouti, mais notre équipe va encore progresser. Mais c’est vrai, on est loin d’avoir le savoir faire de pointe des studios US ou de certains prestataires spécialisés. Mais si l’on compare les budgets et temps de production, il n’y a pas à rougir. L’équipe se donne à fond.

M: Effectivement, en tant que spectateur on voit une évolution dans les saisons, mais quand on regarde à nouveau les premiers épisodes, le design des personnages était assez éloigné au final de l’image 2D. C’est donc un choix assumé car cela n’aurait pas été faisable uniquement en 2D ? Ce n’est pas uniquement une question de budget ?

TR: Non franchement cela n’aurait pas été réalisable, c’est pas pour faire des économies. On a un budget pour faire le projet, on veut faire le mieux avec ce que l’on a. Là c’était la meilleure option sinon il y aurait eu beaucoup moins de scènes, ça nous aurait mangé de bons animateurs pour ces passages et du coup les scènes à coté auraient été d’un niveau beaucoup plus bas. On est un studio, on a un certain nombre de talents, les bons animateurs on ne les a pas à l’infini. Il faut les utiliser la où il faut pour que l’épisode soit le meilleur possible et comme on a une bonne équipe 3D on voulait aussi les faire bosser dessus donc tout le monde a apporté son savoir faire.

VN: La motion capture, dans les productions en général, quelque soit le pays, même si ça se base sur du réel, ça donne un sentiment bizarre au niveau de l’animation. Ça donne une impression pas naturelle, et ça vient du fait de la coordination avec les modèles 3D qui sont créés. C’est trop réaliste alors que l’animation japonaise est plus “cut” et plus stylisée à la base. C’est aussi ça qui fait le décalage et qui fait quelque chose de bizarre mais ça on peut pas y faire grand chose sauf si les animateurs 3D prennent ça uniquement comme base et retravaillent ensuite dessus mais là encore ça prend beaucoup de temps.

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LA SUITE ?

M: Le projet a été monté dès le début pour faire 2 x 13 épisodes, tu as commencé a évoquer le fait qu’il y avait peut être quelque chose mais que tu ne savais pas trop… En bref, y a-t-il quelque chose de prévu pour la suite ?

TR: Qu’est ce que je peux dire ? La vérité ? Pour le moment on ne travaille plus du tout sur le projet, on est sur autre chose. J’ai ai entendu dire qu’éventuellement il serait possible de retravailler sur AKB0048 mais rien n’est confirmé. En effet la série a eu un succès tout a fait honorable donc ce n’est pas à exclure mais pour le moment tout le monde bosse a fond sur d’autres projets.

M: Ce serait plus une saison 3 ? Un film ?

TR: On en sait pas plus… Il y a beaucoup de confidentialité autour des projets. On est designer, pas producteurs. Même les réalisateurs savent au dernier moment sur quoi ils vont travailler. J’ai entendu qu’éventuellement quelque chose pourrait arriver mais très honnêtement je n’en sais pas plus. Ce sont les gens de King records, nos clients, qui décideront.

VOTRE IMAGE DES AKB MAINTENANT ?

M: Dernière question, au début du projet vous ne connaissiez pas le groupe AKB48. Au cours de l’interview vous avez annoncé que ce n’était pas du tout votre style, mais en travaillant sur ce projet est-ce que votre vision sur le monde des idols a changé ?

TR: J’avais déjà entendu leur musique, évidemment, puisqu’au Japon elles sont absolument partout, mais sans les connaitre vraiment. L’opening de la première saison est un morceau que j’aime bien parce que je l’associe à des sentiments positifs que j’ai eu vis à vis de la production. Mais cela n’a pas changé fondamentalement ma vision, je suis devenu juste un peu plus curieux et je pense que le phénomène des idols mérite de s’y intéresser car c’est une particularité bien japonaise. L’idol n’est pas une artiste, c’est malheureusement plus une sorte de produit commercial et c’est ce qui peut repousser. Mais pourquoi pas. Par contre ce qui me gène, c’est le jeu sur le coté très ambigu de la sexualité et le rapport que certains fans entretiennent avec ces icônes qu’ils idéalisent totalement. Je ne suis pas à l’aise face à ce concept.

VN: C’est pareil pour moi, j’étais déjà allé au Japon auparavant quelques mois et j’avais vu les couvertures de magazines. Au début on se dit que c’est des nanas mignonnes mais qui servent à rien et après coup ma vision a à la fois été améliorée et empirée. J’ai appris les conditions dans lesquelles elles s’entraînent, je dis respect car il faut avoir un esprit de sacrifice énorme mais le problème c’est qu’elles commencent à un âge très jeune. J’ai l’impression que c’est un système qui les détruit ou qui les bloquent dans leur développement, les priver de liberté à un âge aussi jeune et en faire des produits. Quand elles étaient venues au studio c’était hyper frappant, il fallait qu’elles jouent un rôle, toutes les réactions qu’elles avaient, même les réactions mignonnes tout était dans le rôle. C’est très japonais et c’est plus ça qui m’a choqué.

TR: C’est ça, tu sens que toutes leurs réactions sont régies par les attentes d’un public bien particulier, qui les poussent toujours à aller dans un certain sens au dépit de leur propre personnalité. Je pense bien sûr au complexe du lolicon. Au Japon la jeunesse pour une femme est la plus grande des vertus en conséquence de quoi certains fantasment énormément sur les comportements infantiles chez les femmes. Ceci couplé aux frustrations que beaucoup d’hommes ont dû subir pendant leurs années au collège et lycée fait que même passé à l’âge adulte une certaine population d’hommes continuent a apprécier le modèle de femmes-enfants. Les idols jouent à fond sur cette image en adaptant leur manière de parler, leur façon d’être pour se créer un public de fans et les combler, devenir leur petite amie potentielle et virtuelle. En échange, ce public de fans alimentent leur carrière et leur réussite. Personnellement cela me rebute. Mais je pense que c’est en partie culturel. En Europe on sera plus souvent attiré par une personnalité de femme forte et indépendante. Les voix aiguës et niaises ont sur moi un effet totalement rédhibitoire!

VN: Tout à fait. Dans les pays occidentaux, on a plus la culture de la forte personnalité, de l’individualité forte, qui nous plait et là c’est vrai que par le phénomène des idols on nous donne à voir une vision très machiste de la société japonaise. Les filles doivent correspondre à un idéal et pour y parvenir elles s’effacent. Dans le processus je ne sais pas ce qu’elles deviennent, au fond d’elles même en tant qu’être humain, et c’est ça qui m’inquiète.

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